en espérant qu'elle vous donnera quelque plaisir à la lecture, elle n'est qu'un brouillon, le premier jet d'une idée jetée sur mon traitement de texte en 2012, et reprise ces jours-ci afin de la mettre en ligne. Il faudra donc pardonner quelques erreurs qui pourraient rester et que je corrigerais. N'hésitez pas à commenter ou partager...
Sinon, ayant promis cela à Frédéric L. sur Facebook, l'ébauche d'une suite à cette nouvelle existe et je m'attellerais à la mettre en forme au plus tôt... puis à la mettre en ligne... ce que je commence à faire ce 4 mai 2015... ICI
– Daniel ! Daniel !
– Oui, quoi encore ? Tu ne peux pas
me laisser tranquille ? Je sais que je rentre sans prévenir après ces trois
jours de voyage et que je me suis enfermé de suite dans ma piaule sans même
être passé te voir. Mais, merde frérot, j’ai encore trois dossiers à finir. On
parlera demain. Pas envie de regarder ton robot…
– Je… Non ! C’est… Daniel !
La voix basse et presque chuchotée de
Ludovic fit soudain se retourner Daniel. Son frère cadet commençait à l’énerver.
En fait, non, Daniel était énervé tout court. Il était en pleine finition de
son mémoire de thèse et chaque interruption le faisait se hérisser et bondir, à
cran, poils dressés, dents sortis, yeux exorbités, le regard furieux. Depuis
plusieurs semaines, il rembarrait fréquemment Ludo mais ce dernier revenait
invariablement à la charge, incapable de comprendre qu’il dérangeait.
Le pire était sa gentillesse. Ludovic
irradiait la gentillesse, alors que c’était lui qui souffrait le plus de tout
ce qui était arrivé, c’était lui qui n'avait plus de jambes et
ne pouvait se déplacer qu’en fauteuil flottant, c’était lui qui avait du mal à
se servir de ses bras, de ses mains, c’était lui qui souffrait dans sa chair
depuis cet accident de jet-car qui avait couté la vie à leurs parents, en ce
sombre été 2042.
Le pire était aussi que Ludovic ne la
montrait pas cette gentillesse. Non ! Il l’irradiait. Il était impossible
de s’emporter contre lui, de lui en vouloir, de vraiment le refouler, de même
simplement élever la voix contre lui, de ne pas répondre à ses sourires… Il
irradiait. C’est tout. Oh, cela ne marchait pas avec tout le monde, c’est vrai.
Certains n’arrivaient pas à rester à ses côtés, à cause de son corps devenu
difforme, de ses jambes disparues, de ses cicatrices trop visibles et que le
maquillage ne masquait pas assez sur son visage. Avec Amélie, avec lui, avec
Jean-Marc ou Serge, avec Cathy ou Laure, sa gentillesse lui ouvrait toutes les
portes. Sauf que là, gentillesse ou pas, Daniel était crevé, fatigué, épuisé et
stressé.
Le jeune homme se secoua et s’appuya
fermement contre le dossier de son fauteuil de bureau qu’il avait tourné. Il
pointa le doigt vers son jeune frère et lança d’une voix sourde :
– Écoute ! J’ai tout ça à finir pour
demain. Mes deux tuteurs de recherche doivent recevoir le dossier mardi au plus
tard et…
Daniel écarquilla les yeux et fronça les
sourcils :
– Qu’est-ce que tu as ? Tu…
Il se leva et fit un pas vers la
silhouette qui se tenait dans l’ombre de la porte, à contre-jour des lampes de
ce qui leur servait de salle de travail dans laquelle Daniel entassait ses
ordinateurs luminiques, scanners psychiatriques, cartes d’inférences
psychotroniques, et mille choses qui se mêlaient au fatras qu’y ajoutait
Ludovic avec ses morceaux de robots, ses mannequins et bouts de corps
métalliques, et surtout leur dernière invention à tous les deux, un soi-disant
robot humanoïde.
Ce dernier avait été fait à l’exacte
image de Ludovic, d’un Ludovic tel qu’il était encore voici trois ans, avant le
drame, avant ce qui avait détruit leur famille et leur vie, alors qu’il n’avait
pas encore quatorze ans. Sauf que cet androïde-là était incapable de se mouvoir
correctement et d’articuler quoique ce soit de cohérent contrairement aux
autres androïdes qu’ils avaient conçus mais qu’aucune société de robotique n’avait
daigné accepter tant ils leur paraissaient sans intérêt pratique.
Or, devant lui, Daniel voyait une silhouette
qui se tenait debout, qui n’était pas le corps replié de son frère dans son
fauteuil flottant. C’était un garçon debout qui se cachait dans l’ombre. Une
forme humaine, encore petite et adolescente d’allure…
– Merde ! Ludo ! C’est pas toi…
C’est le robot ? Et il parle ? Tu as réussi à le faire bouger et
parler ? Purée ! J’ai vraiment cru que c’était ta voix, que c’était
toi qui arrivais… C’est extra ! Comment t’as fait pour…
– Daniel ! C’est moi… Ce… C’est moi
dans le robot…
– Quoi ? Tu le commandes à
distance ? Tu parles à travers lui ? Ah ! J’ai cru que t’étais
arrivé à le faire démarrer en autonome, mais… Ouah !
Le jeune thésard s’avança plus près. Il passa
sa main devant le contacteur lumineux et monta l’éclairage qui inonda sa
chambre. Le robot se tenait devant lui dans la même attitude que Ludovic avait,
autrefois, quand il venait le voir pour quémander un moment passé avec lui, un
moment à jouer ou à inventer de folles choses sur leurs systèmes computroniques.
Le visage, jusqu’à présent figé,
paraissait vivant et animé, même si ses yeux bougeaient trop, comme à la
recherche d’un point auquel se raccrocher.
Daniel plaqua ses deux mains sur les
épaules de l’androïde. Sur sa poitrine, le logo qu’ils avaient maladroitement gravé
au laser luisait : BY pour B-Yeca, « Brain Yttrium Experience for Connectomic Android ». Un robot à
cerveau de lumière, un cerveau à base d’Yttrium. Un truc que les scientifiques
avait regardé avec amusement, en les renvoyant à leurs jeux, parce que la
lumière en informatique et en positronique ne pouvait tout simplement pas s’appuyer
sur du bête Yttrium qui ne servait qu’à faire des LED…
Le grand frère fit pivoter l’androïde sur
lui-même en s’exclamant :
– Comment t’as fait ? Ça fait deux
ans qu’on travaille dessus et on n’a jamais rien pu tirer de cet engin et voilà
que je m’absente quelques jours et que tu me présentes une bestiole active
comme tes petits droïdes. Ouah ! Tu m’épates. Je crois que les Japonais
qui nous ont gentiment remerciés pour notre dernière invention vont devoir
réviser leurs jugements et…
– Daniel ! C’est moi…
– Je sais que c’est toi. Attends, tu le
télécommandes d’où ?
Daniel se glissa hors de sa chambre et
s’avança dans le couloir jusqu’à la pièce qui leur servait d’atelier. Mais cette
dernière, malgré qu’une lumière tamisée s’en échappe, se révéla vide de toute
présence.
– Au garage, je… au garage, chuchota le
robot qui s’était mis à le suivre de la même démarche chaloupée qu’adoptait
souvent Ludovic quand il était plus gamin.
Daniel se prit à admirer son frère et une
bouffée d’orgueil et de joie remplit ses poumons, le faisant presque larmoyer. Ses
deux années d’effort acharnées allaient-elles enfin payer ? Toute
l’énergie qu’ils avaient mis l’un et l’autre dans ce projet allait-elle
bousculer leur avenir et leur amener enfin la renommée et surtout la
richesse qui leur permettrait de soigner son frère, de lui faire porter
des prothèses robotisées, de redresser son corps et de se passer de son
flottant ? Daniel se rua vers la porte arrière de l’atelier ; elle était
ouverte. Le robot était donc passé par là.
– Ludovic ? Tu le télécommandes d’en
bas ? On avait dit qu’il ne fallait pas dépasser une pièce pour les
premiers essais ! Merde ! Si quelqu’un capte les ondes que tu émets,
on risque d’être remarqués et de se faire piquer des infos…
Mais Daniel ne criait pas. Il sentait sa
joie sourde grandir et l’envahir. Ludovic avait réussi à injecter le programme psychohumain
qu’ils avaient pondu. Putain, exulta le jeune chercheur ! Il a injecté la
copie de son cerveau dans l’androïde ! Merde ! Merde ! On a
réussi… Non ! Il a réussi…
Il sauta les dernières marches et retomba
souplement dans le garage ; ils n’utilisaient plus que la moitié de la
maison familiale, garage et étage, parce que le reste, tout le reste, leur
rappelait trop cette période d’avant, cette période de bonheur familial qu’ils
avaient connue…
Ludovic était installé près de la table
de préparation. Son flottant tanguait légèrement près d’elle. Daniel aperçut
les reflets du boitier de commande posé sur ce qui restait de ses cuisses. Mais
le jeune homme sursauta et bondit pour franchir les derniers mètres. Ludovic
était figé, la tête penchée en avant, la nuque presque cassée, le torse bloqué
par la sangle qui le maintenait contre le dossier de son fauteuil flottant. Il
vit aussitôt les électrodes et le mince anneau de polycarbonate qui entourait
le haut de sa tête et masquait son front. Les LED qui le bordaient ne
clignotaient pas mais restaient figées sur la partie haute du crâne qu’il lui
montrait.
– Ludo ? Ludo ?
Daniel secoua le corps doucement. La
bande qui maintenait son torse sur le dosseret empêcha ce dernier de tomber, inerte,
mais le boitier de commande glissa et chuta bruyamment sur le sol bétonné. Le
jeune homme sentit un froid intense l’envahir à l’idée que son frère soit…
mort ? Pourtant le corps était chaud, la peau élastique. Il souleva son
visage couturé de cicatrices et sentit le souffle de sa respiration sur ses
doigts.
– Ouf ! murmura-t-il. Tu es
endormi ! Putain, j’ai eu la peur de ma vie et…
– Je ne dors pas Daniel. Je suis là…
Le jeune chercheur hurla et se retourna
d’un bloc. Le robot Ludovic était tout près et le fixait de ses yeux mécanisés. La main de métal et polymère
se porta contre la poitrine brillante et la tapa doucement, juste sur le cercle
où ils avaient gravé le BY.
– Je suis là ! Dedans !
Euh ! Non, là !
Et la main se releva pour taper le côté
du crâne luisant sous la lumière diffuse du garage, tout aussi encombré
d’appareillages et de pièces d’électroniques et de robotiques que la salle de l’étage.
– Là ?
– Oui… Je… ça ne s’est pas passé comme on
pensait. Le… J’ai dupliqué mon connectome comme d’habitude mais, quand je l’ai
transféré dans le Bi-Yeca, je… j'ai oublié de retirer les électrodes et le serre-tête de transfert. Et... il… il m’a aspiré moi au lieu d’aspirer la copie.
Il m’a aspiré moi…
– Aspiré ?
– Oui… Je… Daniel ! Mon esprit, il est
dans le noyau d’Yttrium. Je n’ai plus de cerveau organique mais je suis dans le
noyau lumineux. Daniel ! Je ne suis plus dans mon corps. Je suis dedans
cette tête, dans le noyau de BY.
Le jeune homme sentit le sang refluer de
son visage et la peur étreindre son cœur. Son frère… dans le robot. Il sut pourtant
que c’était vrai, que ce n’était pas un rêve, un cauchemar, une folie qu’il s’inventait
tout seul à cause du stress et de la fatigue.
– Je… Attends ! Ne t’inquiète pas !
N’ai pas peur !… je vais te tirer de là. Je te promets. Je vais essayer de…
Non ! Je vais y arriver. Je vais te sortir de là… Attends !
Il tendait les mains en avant, cherchant
à attraper et à repousser en même temps l’androïde. Mais la réaction de ce
dernier le prit de surprise. L’être au corps de métal et de carbonate, ce corps
à l’allure d’un tout jeune adolescent se jeta contre lui et, avec une force et
une puissance incroyable, bien plus grande que celle dont ils avaient pensé le
doter, le serra contre lui, l’étouffant lentement, écrasant ses os entre ses
bras de carbonate.
– Non ! Non ! Je ne veux pas !
Je suis vivant ! Je suis dedans ! Je bouge ! Je marche !
Comme avant, comme autrefois, ne m’enlève pas de là ! Je ne veux pas…
– Ludo ! Non ! Doucement, tu m’écrases,
tu m’étouffes ! Tu…
Les deux bras le relâchèrent aussitôt, le laissant choir à terre et retrouver lentement sa respiration. La voix de Ludovic se fit implorante avant d'exulter :
– Pardon ! Pardon ! Je… Ne m’abandonne
pas ! Mais laisse-moi dedans ! Laisse mon corps. Je vis… Je vais
pouvoir tout faire comme autrefois… courir, nager, sauter… Daniel ! C’est
merveilleux… Je suis un robot… un robot vivant…
J.C. Gapdy – Mars
2012 – Avril 2015
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